Maman ne s'occupe pas de nous...
La fatigue se faisait sentir, les paupières lourdes, elle luttait pour ne pas s'endormir. Non, elle ne pouvait pas dormir. Il ne fallait pas. Surtout pas… Péniblement, elle releva les yeux vers la vieille horloge pour voir l'heure. Deux heures du matin… Son regard se porta ensuite vers les petits endormis à côté d'elle. Ils étaient jeunes. Alessandro, cinq ans et Enzo, quatre ans ainsi que les jumeaux Giovanni et Giorga deux ans… Ils devraient être au lit, bien au chaud.  Au lieu de ça, ils étaient là, sur une banquette d'un vieux bar miteux. La musique bien trop forte, les gens autour étaient tous complètement ivres et leur mère dansait collée à un énième inconnu. Après s'être assuré que ses frères soient bien en sécurité, Sephira, alors âgée elle-même que de dix ans, se leva pour aller tirer sur la manche de leur mère.

« Maman… On a sommeil, on veut rentrer dormir…» Son regard était endormi, ses petites mains frottant ses yeux douloureusement rougis. Sa mère lâcha un soupir agacé et la toisa du regard. Elle aussi était complètement ivre. Comme toujours cela dit… Une alcoolique notoire qui avait sa petite réputation en dehors de la ville. « Sephi… Tu me fais chier. Tiens, prends ça, appelle un taxi et demmerdes-toi. »  Dit-elle en tendant une liasse de billets à la petite blonde. La petite fille prit l'argent, sans même se soucier du ton employé par sa mère et se dirigea vers un des barmans, lui demandant d'appeler un taxi. Celui-ci ne fut même pas choqué. A vrai dire, avec la famille Bellini, c'était une habitude.. La mère emmenait ses enfants quand elle ne pouvait pas les garder et ils étaient mis de côté pendant qu'elle picolait et s'amusait. Et une fois complètement saoule, elle les renvoyait en taxi, se souciant bien peu de ce qui pouvait bien se passer ensuite…

La petite fille alla donc réveiller ses petits frères et sa petite sœur, afin de les emmener avec elle dans le taxi. Une fois arrivée devant la maison, elle sortit le petit jeu de clé de sa poche et ouvrit la porte avant d'aller changer et d'aller coucher chacun de ses frères et soeurs. Sephira n'avait que dix ans et déjà là, c'était elle qui s'occupait des plus petits. Cette nuit-là, sa mère rentra vers six heures du matin et s'écroula à terre dans le salon… Et ça, c'était presque quotidien.

Triste journée
Sept heure du matin, l'adolescente était déjà dans la cuisine à s'affairer. Elle préparait minutieusement le petit déjeuné de ses petits frères et sœurs. Depuis ses dix ans, deux nouvelles bouilles avait rejoint la famille :Annalisa et Luca. Sa mère et son père avaient encore et encore remit ça...

C'était toujours comme ça. Ils faisaient leur vies sans se soucier de leur enfants, en ramenant un nouvel enfant neuf mois plus tard et c'était à Sephira de tout gérer ensuite… Leur mère disparaissait aussi pendant plusieurs semaines, plusieurs mois. Elle considérait Sephira assez grande pour s'occuper de la famille. La blondinette encaisse tant bien que mal les responsabilités qui n'auraient jamais dû être les siennes à un âge aussi jeune. Heureusement, leur grand-mère venait souvent s'occuper d'eux et aider financièrement la jeune adolescente à garder la maison à flot. Maison qui appartenait à cette grand-mère par chance, elle n'avait donc aucun loyer à payer.

Ce matin-là, elle n'avait pas le temps d'y penser. Elle se dépêcha de réveiller chacun de ses frères et sœurs, aida les plus petits à s'habiller avant de les emmener à l'école. Sephira, âgée de seize ans, prit un tout autre chemin par la suite: celui du travail. Elle avait dû abandonner ses études pour subvenir financièrement à sa famille. Elle ne ramenait pas un gros salaire, mais juste de quoi bien nourrir ses frères et sœurs et de quoi payer les factures. A seize ans, elle était déjà usée et épuisée par la vie et les responsabilités d'adulte… Et pour couronner le tout, ce jour-là, le 25 avril 2016, à quatorze heure quarante-cinq, son téléphone sonna pour lui annoncer une triste nouvelle: sa seule alliée, sa grand-mère venait de décéder d'un arrêt cardiaque. Et en dernier cadeau, elle lui avait légué sa maison à elle et non à sa fille alcoolique.


Il était une fois... Julian
La musique battait son plein de manière indécente. Le son était bien trop fort dans l'établissement éclairé par les éclairages au plafond, la fumée qui sortait des machines au sol rendant l'endroit encore plus intemporel. Une boîte de nuit plus que populaire pour les étudiants de l'université d'Ottawa. Perchée sur ses talons hauts, habillée de noire et sa longue chevelure blonde lâchée, Sephira se déhanchait derrière le bar entre deux commandes de boissons. Barman en boîte de nuit, son énième travail. Un travail pas mal pour une jeune femme de dix-neuf ans. Enfin, elle s'amusait tout en travaillant, profitant de sa jeunesse comme elle aurait dû le faire depuis bien longtemps. Ses frères prenaient à présent le relais de temps à autre, lui laissant l'occasion de faire des jobs de nuit pour ramener plus d'argent à la maison.

Hayley, sa meilleure amie, y travaillait aussi. Et après chaque service, bien souvent, elles allaient danser ensemble au milieu de la piste. Leur consommation étant offerte par leur patronne. Ce soir-là n'allait pas faire exception. En attendant la partie amusante de la soirée, elle était donc derrière le bar, servant boisson après boisson. Jusqu'à lui. Cet homme grand, brun, des yeux brun profond avec cet aura de bad boy. Bref, le genre pour qui n'importe quelle gamine de dix-neuf ans se damnerait… « Salut ma belle. Je voudrais un whisky avec  glaçons et ton numéro ou l'heure où tu finis. » Sephira n'était pas une exception à ces autres filles. Ni une, ni deux, elle offrit son sourire le plus séducteur et se pencha sur le comptoir. « Je ne suis pas ta belle, bad boy. Mais j'ai fini dans une heure. Alors je te laisse tout ce temps pour trouver une meilleure approche et me convaincre que tu n'es pas juste un beau gosse sans cerveau qui pense que son physique suffit à séduire une femme. »

Et c'est comme ça que leur histoire débuta. Il s'appelait Julian Perkovitch. Leur amour était toxique, irrationnel. Ils s'aimaient un jour, se détestaient le lendemain. Pourtant, Julian semblait être un homme bien, il venait chez elle, y habitait même le trois quart du temps, l'aidait avec les enfants, à gérer ses parents… Pourtant, souvent il la suppliait d'enfin prendre du temps pour elle, de laisser sa famille se débrouiller, de partir vivre ensemble, juste eux deux. A chaque fois, Sephira refusait, entraînant ainsi une dispute. Malgré tout, il la demanda en mariage un an après leur rencontre. Et elle accepta…

La goutte de trop?
Le jour J était arrivé. Elle était là, se regardant dans le miroir, sa famille étant avec elle, tous étaient émus. Tous ses frères et sœurs avaient accepté Julian et ils se réjouissaient de voir enfin leur grande sœur heureuse. Il n'y avait eu aucun problème dans l'organisation. Un mariage très simple, avec peu d'invité. Un mariage plus que suffisant au yeux de la belle italienne.

Alors que tous s'apprêtaient à partir pour l'église, sa mère débarqua après quatre mois d'absence. Personne ne fut surpris, ni de la voir, ni de voir dans ses bras un énième bébé… La colère gagna Sephira, elle n'avait rien contre ce petit bout, non. Mais elle en voulait à sa mère. Elle explosa littéralement alors que sa génitrice posa le bébé dans le canapé, sans même se soucier de la sécurité de celui-ci. Rebecca, sa mère, tremblait de manque. D'alcool ou de drogue, elle ne savait pas. « Seph.. Je… Tu es magnifique… Mais… je ne peux pas m'occuper d'Alvaro… Je… Tu comprends, tu fais ça mieux que moi et… Je ne pouvais pas avorter et… » « Et quoi? Il ne rapportait pas assez d'argent? Les gens n'avaient pas assez pitié donc tu t'en débarrasse comme tu l'as fait avec chacun de nous Rebecca? C'est mon mariage et tu choisis ce jour-là pour faire ton grand retour avec un bébé? Bordel vous ne connaissez pas les capotes avec papa?!» «Je…» Sa main se lança sur la joue de sa mère. Elle n'en pouvait plus. Plus de ces conneries, plus de ses vaines promesses. « D'accord, je vais m'en occuper. De toute façon, il est hors de question de te laisser un bébé, tu es irresponsable, immature et complètement bonne à enfermer. Mais tu vas voir un avocat maintenant et tu vas renoncer à tes droits sur tous les enfants et me nommer tutrice légale. Après ça, tu dégages ton cul de chez moi et je ne veux plus jamais te revoir. Je te donnerais mes économies pour t'aider pour la suite, mais après ça, c'est un adieu Becca. » déclara-t-elle, le ton froid et claquant. Et sans laisser à sa mère le temps de répondre, elle sortit de la maison pour aller à l'église. Alessandro avait prit ce tout petit être avec lui. Malgré la colère qu'ils ressentirent tous pour Becca, un amour inconditionnel naquit pour ce petit être: Alvaro.

Cependant, elle n'avait pas prévu la réaction de Julian. Interloqué, celui-ci demanda des explications sur la présence du bébé et elle lui expliqua. Bien que secoué, il se présenta une heure plus tard devant le prêtre. La belle italienne était heureuse, elle allait dire oui, l'incident avec sa génitrice était déjà en arrière dans ses pensées. Mais pas dans celle de Julian… Et a la question fatidique de "voulez-vous prendre Sephira Bianca Bellini pour épouse?", le beau brun inspira longuement avant de la regarder, sincèrement désolé. « Je suis désolée Seph… Je t'aime plus que tout au monde… Mais ta famille… Elle passera toujours avant n'est-ce pas? Et je ne suis pas prêt a assumer autant de gamin…» Et sur ses simples mots, il l'embrassa sur le front et partit. Elle était là, choquée, le regardant partir. Tous l'étaient. Julian semblait être un homme sur qui on pouvait compter et pourtant, il venait de la lâcher, à l'autel, devant sa famille, ses proches. Elle ne réagit pas directement, ses frères se précipitant vers elle pour l'emmener dehors ou enfin, elle craqua. Des larmes coulèrent encore et encore. Son cœur était brisé, elle était humiliée, abandonnée. Elle qui donnait encore et toujours venait de se casser sévèrement la gueule cette fois-ci.


Se relever après la chute
Plus le coeur à rire, plus la force de se battre… Pendant plusieurs semaines, Sephira n'était qu'une ombre. L'ombre d' elle-même. Elle se levait, s'occupait des gosses, travaillait et son temps libre, elle dormait. Recroquevillée dans sa chambre, ayant pour seule compagnie Alvaro. Il était beau, pourtant, elle eut beaucoup de mal à s'en occuper avec le cœur au début, le sien étant en miette. Elle ne mangeait presque plus, juste assez pour ne pas finir à l'hôpital, mais pas assez non plus. Elle perdit beaucoup de poids. A  vingt-et-un an, elle était déjà complètement usée par la vie et les drames. Au final, elle perdit même son job. Restant juste enfermée dans sa chambre, ne se levant même plus pour s'occuper des enfants, excepté du bébé. Elle se sentait enfermé dans une vie qu'on lui avait imposer. Une vie qui lui avait fait perdre l'amour, sa confiance en elle ou même ses choix. Enfermée à Ottawa et ses environs à tout jamais...

Mais chez les Bellini, la fratrie ne se laissait jamais tomber. Sephira ayant toujours été là pour eux, ils lui rendirent la pareille. Les plus grands allèrent travailler et prirent le relais. Les plus petits prenaient soin de bien ranger leur affaire, et tous se mirent ensemble pour sortir leur grande sœur de sa dépression. A force d'effort et de patience, ils réussirent à la faire sortir de sa chambre un jour. Le lendemain à la faire manger et petit à petit, ils lui redonnèrent l'envie de vivre. Elle était le pilier de cette famille. Elle était leur rock, celle qui encaisse pour eux, celle qui les avait tous élevés. Et un jour, elle regarda juste sa famille vivre dans la maison et un sourire naquit doucement sur son visage. Oui, elle ne pouvait pas les abandonner plus que ça. Il était temps de se remettre en selle. Alors, elle chercha du travail et trouva une place de serveuse au dîner "Chez mamie Colette" Un vieux dîner ouvert de 8 heures du matin jusqu'à 23 heures. Mamie Colette était en fait Mike Wyatt, le patron des lieux et petit-fils de cette Colette. Il avait ouvert ce dîner en hommage à sa grand-mère. L'ambiance y était familiale. Chaque employés pouvaient être lui-même. Les clients n'étaient pas forcément les rois et c'est cette ambiance qui plaisait grandement.

Là, Sephira pouvait y emmener les restes de nourriture ou sa famille pouvait venir manger gratuitement. En échange, elle faisait de grand service comparé à ses collègues. Elle dépannait toujours quand il le fallait. En parallèle, elle trouva aussi une place comme femme de ménage de nuit, dans un motel miteux en dehors de la ville. La paie était intéressante, mais l'endroit n'était pas le plus sûr non plus… Tout était bon pour subvenir au besoin de la famille et puis, il y avait Alvaro maintenant, ce bébé qui méritait une belle enfance.

La même année, Sephira alla au tribunal de la jeunesse. Et sans problème, elle réussit à avoir la tutelle des mineurs de sa famille, ses parents ayant été totalement déchus de leurs droits parentaux.

Des papillons dans le ventre…
La vie semblait bien plus calme à présent. La belle italienne avait retrouvé un rythme de vie correct, même si ses heures la fatiguait énormément. Elle évitait les histoires d'amours, après tout, quel homme accepterait une femme devant élevé autant d'enfant encore? Non, elle avait retenu la leçon avec Julian et avait décidé de fermer son cœur à tous.

Il n'y avait plus que quatre mineurs sous sa responsabilité: les jumeaux Giovanni et Giorgia, seize ans. La petite Annalisa de douze ans. Le malicieux petit Luca, huit ans et enfin, le plus adorable de tous: Alvaro, quatre ans. Il était à la maternelle à présent.
Becca passait encore à la maison, tentant souvent d'amadouer ses enfants mais tous l'ignorèrent. Même les deux plus jeunes qui ne la connaissait presque pas au final. Ils savaient qui elle était, mais ils n'étaient pas attachés à elle. Leur père avait définitivement quitté le paysage, plus personne ne l'ayant revu depuis quatre ans.

Et elle travaillait toujours au dîner, trois ans plus tard. A vingt-quatre ans, la jeune femme était même préssentie à devenir la prochaine co-manager mais elle s'y refusait pour le moment. Le statut de serveuse lui plaisait énormément. Il n'y avait qu'une chose qui la dérangeait: les papillons dans son ventre, son cœur qui s'accelérait et ses pensées qui se dirigeaient vers une personne depuis qu'il était apparu pour la première fois. Ce client, ce professeur qui venait souvent avec son fils, un ami d'Alvaro d'ailleurs. Il semblait si doux et compréhensif avec son fils. De plus son attitude plaisait énormément à Sephira mais non! Hors de question. Il était bien plus vieux qu'elle premièrement, jamais il ne s'intéresserait à une gamine comme elle, n'est-ce pas? Et deuxièmement, elle s'était promis de ne plus tomber amoureuse, jamais…